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De « Iron Crows » à « 1980 Sabuk » : le retour complexe de Park Bong-nam au cinéma du réel

Alors que l’industrie cinématographique sud-coréenne traverse une période de morosité, souvent attribuée à la concurrence du streaming et à un marché en berne, la vitalité de sa production indépendante prouve le contraire. Des œuvres courageuses et intimes continuent d’émerger, qu’il s’agisse de documentaires historiques ou de fictions explorant les fractures sociales. Ces films, bien que salués par la critique, luttent cependant pour exister en salle. Un exemple frappant est le récent documentaire 1980 Sabuk, qui revient sur un chapitre sombre et complexe de l’histoire moderne du pays.

Le retour d’un documentariste vétéran

Park Bong-nam, 59 ans, est une figure majeure du documentaire en Corée du Sud. Depuis ses débuts en 1995, ce réalisateur et producteur chevronné a plus d’une centaine d’œuvres à son actif. Sa réputation internationale s’est consolidée en 2009 avec Iron Crows, un film sur les travailleurs des chantiers de démolition navale au Bangladesh, qui lui a valu le grand prix à l’IDFA d’Amsterdam, une première pour une œuvre coréenne.

Pourtant, après ce succès, Park s’est éloigné de la caméra. Il confie avoir traversé des épreuves et des frustrations. La tragédie du ferry Sewol en avril 2014, qu’il a documentée au sein d’un collectif d’archives, l’a profondément marqué. Confronté à la douleur brute et aux conflits, il a lui-même été blessé. Il a alors rangé sa caméra pour étudier la botanique et passer du temps en montagne.

« 1980 Sabuk » : la genèse d’un projet sensible

C’est un appel en avril 2019 qui a ramené Park Bong-nam au cinéma. Hwang In-wook, un ancien camarade d’université devenu directeur de l’Institut de recherche communautaire de Jeongseon, lui demandait de venir à Sabuk. Park, curieux, s’y est rendu en emportant sa caméra. Ce fut le début d’un travail de cinq ans et demi qui allait devenir 1980 Sabuk.

L’événement au cœur du film était largement méconnu, y compris du réalisateur. En avril 1980, dans cette ville minière de la province de Gangwon, les mineurs de la mine de charbon Dongwon ont entamé un sit-in pour exiger la démission du chef de leur syndicat, considéré comme corrompu. La situation a dégénéré lorsqu’une jeep de la police a foncé sur les manifestants, blessant gravement un mineur. Un policier a ensuite été tué par des jets de pierres lors d’affrontements. Dans le chaos, les mineurs ont capturé l’épouse du chef syndical en fuite et l’ont violemment agressée.

Bien qu’un accord ait mis fin au sit-in au bout de quatre jours, la répression s’est abattue en mai sous le régime de la loi martiale. Plus de 200 mineurs et leurs familles ont été arrêtés, battus et torturés. Vingt-huit d’entre eux ont finalement été condamnés par un tribunal militaire.

Naviguer dans la complexité des mémoires

Hwang In-wook, l’initiateur du projet, explique que les habitants de Sabuk refusaient de parler de cette période. Le film, basé sur plus de 160 jours de tournage et 100 entretiens, cherche à briser ce silence. Park Bong-nam a longuement hésité avant d’accepter. Il connaissait l’incident de nom, mais il redoutait la complexité du conflit, en particulier l’agression de la femme du syndicaliste.

Après trois mois de réflexion, il a conclu qu’il était impossible d’éluder cet aspect. « L’épouse du chef de section était aussi une victime innocente, » explique-t-il. Ignorer son sort aurait invalidé la démarche historique du film. Le réalisateur a également rencontré un policier blessé à l’époque, qui lui a raconté avoir été secouru par un mineur. « On ne peut pas diviser les gens en ‘camp des mineurs’, ‘camp du syndicat’ et ‘camp de la police' », note Park. La responsabilité principale incombe à l’État et à l’entreprise, mais les victimes se sont affrontées entre elles pendant 40 ans, sans jamais recevoir d’excuses de l’État. Le réalisateur décrit cette situation comme une « version années 80 de Squid Game ».

Pour garantir la rigueur de son travail, Park s’est astreint à n’utiliser que des archives originales, comme les 100 clichés du photojournaliste Ha Doo-man, écartant les rapports de seconde main pour prévenir toute contestation sur l’objectivité du film.

Des fictions intimes en quête d’audience

Le combat de 1980 Sabuk pour la reconnaissance d’une histoire complexe fait écho à celui d’autres films indépendants, qui, par la fiction, explorent les réalités sociales du pays. Saram gwa gogi (Des gens et de la viande), par exemple, met en scène trois personnes âgées, seules et affamées, qui se lancent dans une série de « dine-and-dash » (partir sans payer). Le film évite tout jugement moral pour se concentrer sur la réalité de ses personnages, leur redonnant une vitalité enfantine à travers cet acte illégal.

Dans un registre différent, Segye-ui ju-in (Le Maître du Monde) de Yoon Ga-eun, suit Joo-in, une adolescente de 18 ans qui protège son jardin secret. Le film montre avec finesse comment elle construit son propre monde, solide, face aux préjugés. Neo-wa na-ui 5bun (5 minutes entre toi et moi) aborde quant à lui la relation ambiguë, entre amitié et amour, de deux lycéens, traitant de thèmes comme le harcèlement scolaire et la confusion des sentiments.

Le paradoxe du cinéma coréen

Les spectateurs qui parviennent à voir ces films, souvent dans des conditions de diffusion difficiles, sont formels : le cinéma coréen n’est pas en crise. Ils soulignent que ces œuvres ont le potentiel d’attirer un large public si elles bénéficiaient de plus de salles.

Les professionnels du secteur partagent ce constat. Un responsable d’un grand distributeur reconnaît le désir de diversifier les sorties, mais pointe le manque de ressources financières. Selon lui, si la volonté des distributeurs est importante, une politique gouvernementale active est nécessaire pour ranimer le marché et soutenir ces productions plus modestes. L’accueil chaleureux réservé à ces « petits films » est néanmoins un signal positif, laissant espérer un renouveau plus large pour le cinéma sud-coréen.